Il est difficile de dater précisément les premiers actes de Résistance commis en Eure-et-Loir. Protestations contre les réquisitions, actes de sabotage, constitution de caches d’armes, distribution de tracts et hébergement d’aviateurs anglais ou de prisonniers évadés des camps provisoires demeurent, en 1940, des actes isolés.

Dans Premier combat, Jean Moulin relate le refus opposé par une habitante de Luray aux Allemands qui entrent par effraction dans sa maison le 17 juin. Léontine Bourgeois, 83 ans, veuve d’Henri Pauger, a perdu ses deux fils en mai et septembre 1916. Elle proteste, « insulte un sous-officier » et refuse de s’en excuser. « Les soldats allemands s’emparent d’elle et l’entraînent dans un jardin. Elle est attachée à un arbre et fusillée sous les yeux et malgré les supplications de sa fille », à qui l’on ordonne de creuser la tombe de sa mère.

Dès l’arrivée des Allemands, des actions de sabotage sont menées sur les véhicules ennemis et les voies de communication : on pose des mines sur la route de Maintenon à Châteauneuf-en-Thymerais. Le 26 juin, Georges Gautier, électricien à Bonneval, sabote les pneus de camions allemands. Le 1^er juillet il détruit une moto. Le 25 août, René Gratton détériore plusieurs camions parqués à proximité du château de Meslay-le-Vidame, dont il est garde-chasse. La répétition de ces actes de sabotage exaspère les autorités allemandes, qui menacent les habitants de représailles, poussant les autorités françaises à émettre des recommandations fermes. L’extrait du registre d’écrou de la maison d’arrêt de Chartres, relatif à l’incarcération d’André Levier pour attaques contre des membres de l’armée allemande le 6 août 1940, illustre bien l’état d’esprit d’une population refusant peu à peu la présence grandissante de l’occupant.

Les sanctions vont d’ailleurs se renforcer à l’automne 1940, avec l’instauration d’un couvre-feu entre 19 h et 7 h, la fermeture des cafés à 19 h, la désignation de plantons pour la surveillance de lieux stratégiques, l’apposition d’affiches de mise en garde…

Si le sabotage est l’arme privilégiée du combattant clandestin, le tract et les papillons sont un moyen d’expression qui se répand lui aussi dès 1940. Les premières recommandations des autorités allemandes ne semblent pas freiner les ardeurs d’une population, souvent jeune, qui exprime son refus face au renforcement des restrictions émises par l’occupant et attestées par les autorités françaises. Collés sur les affiches allemandes, les tracts sont également abandonnés dans des lieux publics. Le Feldkommandant s’en offusque dans une lettre au préfet du 31 juillet (Arch. dép. Eure-et-Loir, 1 W 83). Le commissaire de police de Châteaudun révèle, le 18 décembre, l’identité d’auteurs d’inscriptions injurieuses envers les troupes d’occupation, soulignant qu’il faut distinguer parmi eux deux groupes : des « petits voyous », « enfants mal éduqués », « traîne-ruisseau » d’une part, et des collégiens certainement influencés par leurs professeurs qui font de la propagande gaulliste et pro-anglaise au sein de leur établissement. Les élèves arrachent les affiches allemandes, écrivent à la craie, sur les portes ou sur les trottoirs. A Chartres ce sont des papillons portant l’inscription « vive de Gaulle » qui sont retrouvés dans des urinoirs, au lycée de jeunes filles et dans la rue Nicole.

Au mois de novembre, un mouvement contestataire touche les lycées de Chartres, Dreux et Nogent-le-Rotrou. Des gerbes sont déposées devant les monuments aux morts, malgré l’interdiction faite aux civils de toute manifestation à l’occasion de l’anniversaire de l’Armistice. En février 1941, alors que les lycéens de Marceau préparent clandestinement la fête de Mardi-Gras, l’inspecteur d’académie prévient qu’il est prévu un « monôme dans les rues de Chartres en criant contre les Allemands et approbations pour De Gaulle ». Il souligne que « quelques réunions secrètes ont eu lieu dans les sous-sols de l’Eglise Saint-André, qu’il y aurait lieu (…) de faire surveiller » (Arch. dép. Eure-et-Loir, 1 W 33).

La Dépêche d’Eure-et-Loir du dimanche 15 décembre fait état d’une condamnation pour distribution de tracts antiallemands. René Pelletier, de Chartres, et Henry Cochon, du Mousseau, arrêtés le 4 novembre, sont condamnés à 10 ans de réclusion par le conseil de guerre de Chartres. La sentence est confirmée par le Militärbefehlshaber et les deux hommes sont incarcérés à la prison française.

Des tracts communistes circulent également, depuis la fin août 1940.

Dans les établissements scolaires, les craies sont mises sous clé. Les 25 octobre et 12 décembre des arrêtés du préfet imposent un contrôle du matériel d’impression (stencils et duplicateurs).

Au mois de décembre 1940, il semble que les menées antiallemandes se multiplient. A Châteaudun des inscriptions « injurieuses pour l’Armée d’occupation et pour le chef suprême » ont été retrouvées sur la porte du poste de police allemande, tandis qu’au cinéma, pendant la projection des actualités, « des jeunes gens et des jeunes filles ont ri bruyamment au moment où le chancelier Hitler paraissait à l’écran » (Rapport du commissaire de police au sous-préfet de Châteaudun, 25 décembre 1940. – Arch. dép. Eure-et-Loir, 1 W 61). A Chartres un lièvre mort a été suspendu à la clôture d’un jardin de la rue Auguste-Ganot, à quelques pas de la base aérienne occupée par les Allemands. Le Feldkommandant précise à la fin de la lettre qu’il adresse au préfet le 28 décembre qu’en cas de récidive, « la commune où se produiront des faits de ce genre se verra imposer une forte amende » (Arch. dép. Eure-et-Loir, 1 W 33). Il demande au préfet d’en « informer les habitants sous la forme [qu’il] juger[a] convenable » (Arch. dép. Eure-et-Loir, 1 W 33). A Lèves, c’est la salle de jeu qui est mise à disposition des Allemands qui est visée le 25 décembre (L’occupation et la résistance en Eure-et-Loir, CDDP d’Eure-et-Loir, 1982, t.2, p.16). La veille, la voie ferrée Nogent-le-Rotrou – Le Theil a été sabotée.

Les premiers journaux clandestins circulent : En captivité et La France continue sont expédiés de Nantes par Pierre Le Rolland (mouvement Combat d’Henri Fresnay) tandis qu’au début de l’année 1941, des exemplaires de la Tribune des cheminots et de L’Humanité sont retrouvés à Chartres, Lucé et Courtalain (Arch. dép. Eure-et-Loir, 68 J 14).

Le rappel par les autorités allemandes de l’obligation de déposer les armes à feu laisse soupçonner que des caches d’armes ont été constituées. A la fin de l’année 1940, Jules Divers, directeur de la distillerie des Chaises à Clévilliers, récupère des armes et des munitions dans les bois de Théléville, cambriole l’arsenal communal d’Achères. Les armes regroupées permettent d’armer 10 hommes… (Témoignage dans Arch. dép. Eure-et-Loir, 18 J 2 : « 1940. Récupération d’armes et de munitions dans les bois de Théléville. Cambriolage de l’arsenal communal d’Achères où les boches avaient entreposé des armes et des munitions, armement d’un groupe de 10 hommes, participé à l’évasion de 30 prisonniers français).

Les Euréliens ont-ils entendu l’appel du général de Gaulle ? Peu de Français en ont eu connaissance le 18 juin. Le général de Gaulle lance un deuxième appel le 22 juin, suite à la signature de l’armistice : « L'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la patrie commandent à tous les Français libres de continuer le combat là où ils seront et comme ils pourront ». 37 Euréliens se sont engagés en 1940 dans les Forces Françaises Libres, dont 18 dès le mois de juillet. Les informations en provenance de Londres sont diffusées, relayées oralement ou copiées. En octobre 1940, Germaine Lesieur écrit dans son journal : « L’anglophile cache un tract britannique dans la doublure de son veston, et chaque soir, avant la sonnerie du couvre-feu, tandis que les avions à croix noires rasent les toits, il s’en va par les rues sombres, cerné d’un halo de lampe électrique, pour entendre Radio Londres dans quelque sourde arrière-boutique ».( Marc Guillemin et Jean-Paul Petit, Bonneval et son canton pendant la seconde guerre mondiale, Bonneval, éditions Christian Puybaret, 2004).

A la même période, le ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur indique qu’en France, « l’activité séditieuse de l’ex-général De Gaulle tend actuellement à s’accroître et à entrer dans une phase particulièrement active ». Des centres clandestins d’adhérents à ce mouvement se constituent.

En Eure-et-Loir, à la fin de l’année 1940 de petits groupes s’organisent. En octobre, dans la région chartraine, des membres du Parti communiste forment l’Organisation Spéciale. A Villemeux, des hommes se regroupent autour de Raymond Hélix, à Clévilliers autour de Jules Divers. Le lieutenant Chesnes, pendant ce temps, « effectue les premiers sondages auprès des officiers et sous-officiers dégagés des cadres ou mis en congé d’armistice » (Arch. dép. Eure-et-Loir, 18 J 2 et 1575 W 77).

Dès 1940, de l’habitant qui refuse d’obéir à l’occupant à l’agent de police qui « omet » de saluer l’officier allemand, de l’élève qui s’exprime à la craie sur les trottoirs de sa ville ou déchire les affiches allemandes aux organisateurs des premiers groupes clandestins, des Euréliens ont pris position : refuser, et déjà résister.

Vitrine 9