Archives départementales d'Eure-et-Loir

Les archives départementales d'Eure-et-Loir pendant la Grande Guerre

Ancien séminaire Saint-Charles
Ancien séminaire Saint-Charles

Bâtiment des Archives départementales d'Eure-et-Loir de 1907 à 2006. Cliché Jean-Yves Populu.

Les archives départementales d'Eure-et-Loir pendant la Grande Guerre

Les archives départementales, créées en 1796, sont installées depuis 1907 au 9, rue du Cardinal Pie, dans l’ancien séminaire Saint-Charles, bâtiment construit en 1738.

Le bâtiment

Dans les archives du service est conservé un « plan de l’ex Grand Séminaire relevé par Vaillant architecte » datant de 1907, utilisé à l’occasion de travaux visant à clôturer les archives départementales en 1911. La maison située au n° 3 de la rue Muret, colorée en rouge sur le plan, a été démolie, permettant de clôturer le bâtiment des archives.

Ancien séminaire Saint-Charles
Ancien séminaire Saint-Charles

Bâtiment des Archives départementales d’Eure-et-Loir de 1907 à 2006. Cliché Jean-Yves Populu.

Plan de l’ancien séminaire Saint-Charles
Plan de l’ancien séminaire Saint-Charles

Bleu, 1907. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, 4 N 41, « isolement des archives départementales ».

Photographie de la façade principale des archives depuis la rue du Cardinal Pie
Photographie de la façade principale des archives depuis la rue du Cardinal Pie

A gauche, au premier étage, l’ancienne chapelle du séminaire Saint-Charles. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, Archives du service, 5-3.

Photographie de la façade arrière des archives
Photographie de la façade arrière des archives

Arch. dép. d’Eure-et-Loir,  Archives du service, 5-3.

Le personnel

L’archiviste du département

Maurice Jusselin, né à Paris le 16 janvier 1882, est un ancien élève de l’Ecole des Chartes où il est entré en 1902. Il est l’auteur d’une thèse sur « l’impôt royal sous Philippe Le Bel (1292-1304) soutenue en 1906. Il effectue un stage aux archives départementales d’Eure-et-Loir alors dirigées par René Merlet. Il inventorie le fonds des Cordeliers de Chartres (articles H 4164 à 4693). Il est nommé archiviste du département le 19 novembre 1907. A partir de 1913, il est également conservateur des collections d’Antiquités et du Moyen-Age du département.

Il publie en 1911 une « statistique archéologique d’Eure-et-Loir », et rédige un article sur les « Vieilles maisons chartraines », publié dans la collection des « Archives du diocèse de Chartres » en 1912. Il obtient le Prix du Budget de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1914 pour une « Etude sur les impôts royaux sous les règnes de Philippe le Bel et de ses fils ».

En 1914, il prépare un inventaire des archives du prieuré de Belhomert, qu’il ne souhaite pas publier avant d’avoir inventorié le fonds de l’abbaye d’Arcisses [1].

Membre de l’association générale aéronautique, il se déplace souvent en aéroplane, accompagné par le pilote Joseph Frantz [2]. Il utilise notamment ce moyen de transport pour aller contrôler les archives communales [3]. Il participe au premier voyage de Frantz avec trois passagers (mars 1912), 5 passagers (février 1913), au premier vol Chartres-Orléans (avril 1912), à la première communication avec un aéroplane par TSF (mai 1912). En mars 1914, il est l’auteur des premières prises de vues aériennes de la cathédrale de Chartres [4], accompagné par le pilote Garaix [5]. 

Le concierge

Louis Maurice Bélon, « garçon de bureau et concierge », nommé en juillet 1908, est chargé, « la matinée », de « la mise en état de propreté du bâtiment des Archives ». L’après-midi, de 14 heures « à la chute du jour », (17 heures en été), il assure la permanence en salle de lecture et communique les documents aux lecteurs. Il travaille également à la « mise en ordre des papiers et imprimés modernes ».

  1. Abbaye Notre-Dame du Val d’Arcisses, près de Nogent-le-Rotrou.
  2. Joseph Frantz (1890-1979), pilote d’essai de la maison Robert Savary constructeur de biplans, est connu pour avoir participé au premier combat aérien de l’histoire le 5 octobre 1914.
  3. Le directeur des archives départementales, fonctionnaire d’Etat, exerce un contrôle scientifique et technique sur les archives communales.
  4. Elles sont aujourd’hui conservées à la médiathèque L’Apostrophe de Chartres.
  5. Victorin Garaix, dit Victor (1890-1914), est instructeur à l’école de pilotage de Chartres.
Portrait de Maurice Jusselin archiviste d’Eure-et-Loir
Portrait de Maurice Jusselin archiviste d’Eure-et-Loir

Héliogravure de J. Chauvet, d’après une photographie de François Baracouda, prise en janvier 1914 dans la salle des manuscrits de la bibliothèque municipale de Chartres. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, 20 Fi 204.

Portrait de Maurice Jusselin, 23 mars 1914
Portrait de Maurice Jusselin, 23 mars 1914

Arch. dép. d’Eure-et-Loir, 10 Fi NC 2 Portraits.

Maurice Jusselin en 1909, à bord d’un aéroplane
Maurice Jusselin en 1909, à bord d’un aéroplane

Fonds Nessler-Rioton. Arch. dép. d’Eure-et-Loir ,39 Fi NC 14 A 0213.

La mobilisation

Le 12 août 1914, Maurice Jusselin est affecté au 101e Régiment d’Infanterie. Il rejoint Le Mans. Atteint de myopie et ayant eu la main droite abimée au cours d’un vol au-dessus de Chartres (deux doigts ont été blessés par une hélice), il est classé dans les services auxiliaires. Il passe en décembre 1914 au 2e groupe d’aviation, puis au premier en février suivant. Il devient pilote-aviateur à Ambérieu dans l’Ain. Il est démobilisé le 28 mai 1919.

En août 1914 le concierge est classé dans les services auxiliaires pour blessure de guerre, ce qui lui permet de rentrer dans ses foyers en octobre 1915. Il démissionne en août 1917 et est remplacé par Ernest Ludovic Dumas, originaire de l’Indre, soldat réformé par suite de blessures de guerre.

La fermeture des archives départementales

Le 20 août 1914, l’archiviste et son auxiliaire Louis Maurice Bélon, étant mobilisés, le préfet arrête la fermeture du dépôt des archives au public, jusqu’à nouvel ordre. Seule l’épouse de l’auxiliaire reste dans l’établissement. En cas d’urgence, le chef de la première division de la préfecture est autorisé à communiquer des dossiers.

Un jardin potager et des plants de vigne dans la cour des archives

En juillet 1916 le concierge demande l’autorisation de transformer une partie de la cour, plantée de lierre, de buis, de sapins et d’aubépine, en jardin potager, solution permettant de faire face à la cherté des vivres. Dans un courrier qu’il lui adresse d’Ambérieu, Maurice Jusselin lui donne un avis favorable, soulignant que le nettoyage de la cour « permettrait de rendre moins humide (la) façade du côté (de la salle) des plans ». Il pense que le terrain conviendrait à un potager : « n’avez-vous pas déjà commencé et réussi à obtenir quelques beaux plants de vigne ? »

Projet d’installation d’un poste écouteur de TSF, Arch. dép. d’Eure-et-Loir, 4 N 41.
Projet d’installation d’un poste écouteur de TSF, Arch. dép. d’Eure-et-Loir, 4 N 41.

L’ancienne loge de concierge est occupée à partir de 1915 par l’armée qui a installé à Chartres un poste écouteur de TSF. L’antenne est fixée sur l’un des clochers de la cathédrale et le poste aménagé dans le bâtiment situé à proximité de l’entrée des archives. Le service emploie 13 militaires et le bâtiment comporte une chambre pour le chef de poste, un dortoir de 6 lits, une buanderie, une cuisine, un bûcher, et abrite un poste récepteur de TSF et un récepteur. Le service fonctionne jour et nuit.

De 1914 à 1916,  la salle du rez-de-chaussée située sous l’ancienne chapelle, habituellement utilisée comme salle d’examen pour le brevet élémentaire et le brevet supérieur, est mise à disposition du collège de jeunes filles ; ses locaux sont en effet occupés par un hôpital temporaire tenu par la Société de Secours aux Blessés de la Croix Rouge française. Le bruit occasionné par les élèves, lors des récréations, gêne les militaires du poste de TSF. La cour de récréation des collégiennes est donc transférée dans la cour située à l’arrière du bâtiment des archives, réaménagée à cette occasion.

Le concierge constate régulièrement que les chiens des militaires passent dans le jardin potager ou entrent dans les archives et dans les dépendances ; il a bien des difficultés à faire respecter le règlement des archives qui interdit la présence d’animaux dans les locaux !

Le service quitte les locaux en juillet 1921.

La garderie d'enfants

Dès août 1914, au départ des soldats vers le front, les hommes non mobilisés, les femmes et les enfants sont sollicités pour participer à l’effort de guerre, formant le front de l’intérieur. Des femmes se retrouvant sans revenus bénéficient d’une aide alimentaire et d’une allocation journalière pour élever leurs enfants. L’aide est insuffisante et les contraint à travailler, notamment dans les usines. En dehors des heures d’école, la garde des enfants est organisée par des associations. A Chartres, une société organise la garde des enfants de la cité dont les mères travaillent notamment à l’usine de guerre de Lucé. Elle organise l’accueil de plus de 500 enfants. Elle sollicite en 1917 une des salles des archives, précédemment occupée par le collège. La mairie de Chartres fournit l’appareil de chauffage et le combustible nécessaire. La garderie ouverte aux filles et aux garçons de 7 à 13 ans, fonctionne le jeudi de 13h30 à 18 heures. Au programme : « chant, gymnastique, promenade, jardinage, conférences familières sur des objets simples se rapportant à la guerre, séances de contes merveilleux, travaux à l’aiguille, dessin et coloriage ».

L'état des collections en 1914 et en 1919

Dans son rapport annuel, datant de juillet 1914, Maurice Jusselin indique avoir reçu des versements administratifs provenant de la Préfecture, ayant « peu augmenté d’importance ».  393 communications ont été effectuées en salle de lecture tandis qu’ont été comptabilisées 122 communications administratives.  L’employé a classé les publications administratives et préparé leur livraison à la reliure. Il a commencé le répertoire numérique de la série C (archives des administrations provinciales avant 1790), tandis que l’archiviste a poursuivi l’inventaire de la série H (archives du clergé régulier), et entrepris la révision complète de l’inventaire de la série G, en signalant les sceaux et les plans.

A son retour en 1919 Maurice Jusselin trouve un service « laissé à l’abandon », un « désordre causé par l’inexpérience de visiteurs autorisés à travailler pendant la guerre » et par « l’amoncellement des versements des services administratifs ». Dans les séries G (archives du clergé séculier) et H, communiquées pour une recherche sur les épidémies de paludisme avant 1789, une consultation trop rapide est à l’origine du désordre des liasses.

Dans la salle des dossiers des routes et chemins ont été accueillies les archives des régions dévastées, notamment les archives du département de l’Aisne, de la Conservation des hypothèques de Soissons et de l’inspection de l’enregistrement de Château-Thierry. Ces documents ont été conditionnés pour leur réexpédition, ce qui nécessite l’acquisition de fournitures supplémentaires.

Maurice Jusselin ne constate pas de disparitions de documents, mis à part un « ex-libris armorié, arraché au plat d’un livre rare conservé dans [son] bureau ».

Il estime que les travaux de classement et de récolement préalables à la remise en ordre du service nécessiteront trois années de travail.

Entre mai et août 1919 il a regroupé des documents inutiles, qui seront vendus au profit de l’Etat : « dix mille kilogrammes sont prêts à être aliénés cette année. Dans un an une quantité égale (…) sera prête à être vendue ».

Les bâtiments sont en mauvais état : les toitures sont à refaire ; l’insuffisance du système d’écoulement des eaux pluviales est à l’origine d’infiltrations qui ont atteint les rayonnages. Le portail des archives a subi des dégradations, notamment de la part des militaires. A l’intérieur du bâtiment principal le système de chauffage doit être révisé et il manque des tables prêtées à l’armée et dispersées dans différents bâtiments de Chartres.

Des travaux sont entrepris sur le bâtiment principal en 1921. En 1925, 400 mètres de rayonnages sont installés, pour un montant de 9737 francs, permettant d’accueillir les classements effectués par Maurice Jusselin depuis son retour.

Les sources

Aux archives départementales d’Eure-et-Loir :

- Archives du service

- Fonds Nessler-Rioton (39 Fi NC 14 A 0213)

- Journal de Chartres (Per 9, 1917)

- 4 N 41 (Bâtiments départementaux, Séminaire Saint-Charles – Archives départementales, 1907-1932)

- 10 Fi NC 2 Portraits

- 20 Fi 204

Aux archives de Paris :

- Etat signalétique de Maurice Auguste Jusselin, classe 1902, matricule 4423. N° de volume 14600. 3e bureau.

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